RETROVISION DU 21 OCTOBRE
Une grève fructueuse
Une première dans l’histoire du journalisme en Tunisie et
ce, depuis l’indépendance : le mercredi 17 octobre une journée de grève
générale a été observée par les journalistes tunisiens tous médias confondus. Une
grève décidée par leur syndicat (Snjt) après avoir, selon lui, «épuisé
toutes les voies du dialogue». Bref, ce jour là les téléspectateurs
ont vu un «spectacle» inhabituel sur la chaîne publique : l’homme ou la
femme- tronc qui présente chaque soir les
infos du 20H00 sur El Watanya 1 a disparu de l’écran pour laisser place à une
voix off lisant les principaux titres et quelques brèves. L’édition n’a pas
duré plus de 5 minutes. Idem pour toutes les éditions de cette journée de
revendications des libertés d’information et d’expression incontournables pour
instaurer une réelle démocratie. Même scénario, à quelques exceptions prés, sur
les chaînes de télés privées, mais aussi sur les ondes des radios publiques et
privées, à quelques exceptions prés, et cela dans tout le territoire de la
République.
Les habituelles émissions d’information se sont focalisées
sur les motifs et objectifs de la grève avec un zoom sur la liberté d’expression,
la crise du quotidien Dar Essabah, où après plus de 50 jours de grève, plus d’une
dizaine de journalistes ont repris, après l’échec des négociations avec les
autorités la grève de la faim en raison
de la nomination parachutée d’un nouveau directeur général, Lotfi Touati, sans critères
objectifs, ni concertations avec les professionnels et leurs représentants. Il
fallait zoomer aussi sur la précarité qui prévaut dans le secteur, les
difficultés de la profession dans les régions, la violence contre les journalistes
et autres.
Fictions à la télé et musique à la radio ont remplacé les
programmes politiques coutumiers entre débats et entretiens…Le contenu
médiatique a changé du tout au tout au cours de cette journée dans la presse
audiovisuelle et le lendemain dans la presse écrite. Il faut dire que «la grève
a été à 90% suivie, donc réussie» selon le Syndicat national des journalistes
tunisiens, sans compter le soutien de partis politique et de l’Ugtt, la société
civile, d’artistes et de nombres d’organisations nationales et internationales
ainsi que les Fédérations internationales et arabes des journalistes et 320
médias arabes qui ont observé une grève de soutien d’une heure en signe de solidarité.
Bref, ce service
minimum assuré par les médias de la presse audiovisuelle et écrite peut être
interprété par certains téléspectateurs, auditeurs ou lecteurs comme un
manquement à la profession du fait qu’ils ont été privés d’information, mais si
l’on sait qu’être privé de l’info durant une journée pour une noble cause, soit
une presse libre et inaliénable quelques soient les pouvoirs et les
gouvernements. D’autant que plusieurs voix s’élèvent et tirent la sonnette
d’alarme sur la menace qui plane sur les acquis de la liberté de l’information
et de l’expression.
Or, l’un des plus grands acquis, après le 14 janvier, n’est
autre que la liberté d’informer, surtout après les années asphyxiante d’un
temps révolu où les médias véhiculaient le mensonge, la propagande, la
manipulation et la répression des journalistes libres et indépendants. Aujourd’hui
les médias publics et privés doivent jouer leur rôle qui ne consiste pas
seulement à refléter les activités du gouvernement mais aussi les
préoccupations du peuple et la réalité crue telle qu’elle est, mais surtout pas
maquillée comme du temps de Ben Ali. Refuser la critique et la liberté de ton,
vouloir domestiquer l’information marque, en fait, une volonté manifeste de
retour à la case départ. Mais l’annonce, quoique tardive, par le gouvernement,
lors même de la journée de la grève, de l’activation des décrets 115 et 116,
garantissant la liberté de presse, a été accueillie avec satisfaction par les
journalistes d’autant qu’il s’agit de l’une des revendications essentielles de
la profession.
Cette grève générale observée dans le but de renouer le
dialogue avec le gouvernement n’a donc pas été vaine, puisque le gouvernement
s’est, par ailleurs, dit «toujours ouvert au dialogue» et aux questions
qui concernent le secteur de l’information ainsi que la situation sociale dans
certaines entreprises médiatiques. Voilà qui donne à espérer pour la suite des
autres revendications du Snjt et de la profession.
Voyeurisme pur jus
En l’intervalle d’un mois l’émission Labbés ne recule devant
rien pour créer de l’audimat. En pleine affaire
du viol de la jeune fille par deux policiers, dans la banlieue nord de
Tunis, alors que la société civile s’émouvait, manifestait et se mobilisait,
l’animateur de l’émission n’a pas trouvé mieux que de faire «passer la victime
aux aveux» avec force détails. La jeune femme devait restituer le déroulé du
drame qu’elle a vécu. Ce qui s’appelle du voyeurisme pur jus.
Rebelote lors de l’émission de la semaine dernière :
l’animateur a invité une prostituée impliquée dans un réseau Tuniso-libanais et
là aussi la victime a dû mobiliser toutes ses ressources pour relater les faits
et les méfaits d’un véritable esclavage. Certes les visages des deux invitées
étaient floutés, mais aucune déontologie ou éthique journalistique ne justifie
un traitement aussi cru de ces deux situations. Ce n’est pas en recourant à la
technique du divan, en jouant sur les instincts, les pulsions et les fantasmes,
qu’on peut dénoncer comme le prétend l’animateur, le viol et le proxénétisme ou
autres travers et tares sociales. Pédagogiquement pour sensibiliser,
conscientiser et dénoncer il fallait plutôt opter pour un genre approprié,
l’enquête d’investigation à même de fournir aux téléspectateurs le reportage, des
témoignages, l’explication de l’expert pour donner du sens à ces problèmes de
société et ces drames. Il s’agit de mettre
en perspective ces cas en apportant des éclairages de différents angles :
interroger la police, la douane, des sociologues, mener les téléspectateurs sur
les traces du réseau, dénicher ces cabarets au Liban, les filmer, voire,
etc. Mais non pas soumettre ces deux
victimes à une véritable torture, façon interrogatoire, en les obligeant à
revivre, des moments traumatisants qui relèvent de l’intimité la plus profonde
et se permettre, par ailleurs, d’agresser le public, de tous âges, supposé, en
fait, regarder une variété et non une émission socio-tragique. Il y a, donc, un
souci d’équilibre, de pédagogie et de cohérence à observer afin de ne pas
sombrer dans le voyeurisme le plus abject.Vivement la Haute autorité
indépendante de la communication audiovisuelle (Haica) !
S.D.
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